Une nuit sur le Mont-Saint-MichelAu pied du Mont-Saint-Michel avant l'heure de la marée...
Visité par quelque trois millions de touristes chaque année, le Mont-Saint-Michel ne souffre pas seulement d'ensablement mais aussi d'engorgement ! Voilà pourquoi, parmi tant d'autres raisons, il faut passer une nuit sur ce sanctuaire fondé en 708 par saint Aubert, évêque d'Avranches. Dès 17h, un message d'avertissement diffusé par haut-parleur intime aux automobilistes l'ordre de déplacer leur véhicule "en raison des fortes marées". Accoudé au chemin de ronde, vous constatez effectivement que l'immensité sablonneuse, dont l'horizon se confond avec le ciel gris, est progressivement envahie de langues d'eau surgies de nulle part. Les mouettes, les pluviers dorés, les vanneaux huppés et autres barges à queue noire regagnent leurs pénates. La nuit tombe, les derniers visiteurs descendent l'unique Grande-Rue, bordée de maisons anciennes, et franchissent les unes après les autres les portes successives de ce bourg fortifié pour regagner le parking. La troisième, dite porte du roi (15e s.) parce qu'y était logé le contingent symbolique que le roi entretenait au Mont, conserve d'ailleurs ses mâchicoulis et sa herse.
À 18h30, la cloche sonne l'office bénédictin à l'abbatiale : allez-y, c'est un excellent moyen de se pénétrer de la poésie mystique qui baigne ce lieu unique. En sortant, vous verrez les chats, qui forment de loin la population la plus importante du Mont-Saint-Michel, attaquer les poubelles avec voracité.
Nous autres humains prendront table chez la Mère Poulard où officie maintenant le chef Michel Bruneau. Sous ces lambris historiques où se sont assis François Ier et François Mitterrand, l'homme marie avec brio les produits de la terre et ceux de la mer - agneaux de pré-salé et cochons fermiers de Normandie, soles et huîtres de la baie, calvados et pommeau.
Vous effectuerez la visite de l'abbatiale dès son ouverture le lendemain matin pour profiter seul et en toute quiétude de ce chef-d'œuvre dont les premières pierres furent posées au 10e s. Tant de campagnes de construction et de reconstruction ont accouché d'un édifice complexe dont l'ordonnancement est difficile à comprendre. D'autant plus que vous n'effectuerez pas une visite par époque ou par bâtiment mais, plus prosaïquement, par étage et à travers un labyrinthe de couloirs et d'escaliers.
On ne se livrera pas ici à des travaux forcés de description. Nous attirerons simplement votre attention sur un ensemble de bâtiments, composé de six salles réparties sur trois niveaux, et appelé la Merveille : c'est sans doute l'un des plus beaux exemples au monde d'architecture monastique du 13e s. Vous serez frappé par la perfection du cloître, suspendu entre terre et mer - la vue sur les herbus et d'immenses étendues de sable mêlées d'eau est inoubliable. Ce cloître procure un intense sentiment de sérénité, dicté en partie par ses audacieuses formules architecturales, telle cette forêt de colonnettes disposées en quinconce qui crée un effet de perspective saisissant. De salle en salle, le visiteur émerveillé est happé par ce poème de foi, d'espérance et d'huile de coude coulé dans la pierre...
Du Mont-Saint-Michel à CancaleQuittant le Mont-Saint-Michel par la D976, on franchit le Couesnon pour rentrer en Bretagne à la hauteur de Beauvoir pour pénétrer dans un paysage de polders de plus de 15 000 hectares. Conquises sur la mer depuis le 19e s., ces terres fertiles, essentiellement plantées de céréales et de légumes, forment un curieux damier. Du village de Roz-sur-Couesnon, situé sur une éminence, on profite d'une large vue sur le Mont-Saint-Michel. Une fine bruine commence à tomber : les essuie-glaces démarrent automatiquement. C'est une technologie taillée sur mesure pour ces régions pluvieuses...
Cherrueix, un spot réputé de chars à voile.
En longeant la côte, on arrive bientôt à Cherrueix, gros bourg typique de la baie qui conserve encore trois moulins et quelques maisons à toit de chaume. C'est aujourd'hui un spot réputé de chars à voile. La petite chapelle Sainte-Anne, construite en 1684 et isolée au milieu d'un carrefour, vaut le coup d'œil.
Le long de la D155 se succèdent de verts pâturages où cohabitent pacifiquement troupeaux de moutons et colonies de mouettes. Des bandes de vanneaux huppés sillonnent le ciel ; soyez attentifs, avec un peu de chance, vous apercevrez peut-être quelque rapace faucon émerillon, faucon pèlerin ou busard qui aime à chasser dans ces milieux plats et ouverts où son œil porte loin.
À la hauteur du Vivier-sur-Mer, un crochet à gauche mène sur le Mont-Dol, qui est, avec le Mont-Saint-Michel, l'un des derniers vestiges du soulèvement hercynien. Cette légère éminence (qui culmine à 63 m) détonne dans ce paysage plat et monotone. Ce fut d'abord un site préhistorique (un important gisement d'ossements d'animaux du paléolithique a été mis au jour), devenu, au fil des siècles, un lieu de culte druidique, romain puis chrétien. Châteaubriand, pendant ses études à Dol, venait y épancher sa mélancolie précoce.
Après le Vivier-sur-Mer, haut lieu de la culture des moules sur bouchots, on passe à Saint-Benoît-des-Ondes qui conserve plusieurs pêcheries fixes, de grandes claies de 300 m de longueur fermées par une nasse où viennent se piéger les poissons à marée montante. Ici comme plus loin sur le littoral, les gargotes abondent où l'on peut se régaler de moules et d'huîtres d'une incomparable fraîcheur.
Escale à CancaleDevant l'hôtel-restaurant Coquillage du guide Michelin, une élégante villa des années 20.
L'arrivée par la petite D76 ménage une jolie vue sur Cancale et sa baie, centre ostréicole réputé pour ses huîtres plates. Le port de la Houle est protégé au Nord par la jetée de la Fenêtre et au Sud par la jetée de l'Épi ouvrages qui témoignent de la violence des coups de grain sur le littoral.
Avec son alignement de bars, d'hôtels et de restaurants, ses bateaux rentrant de la pêche et son va-et-vient de tombereaux chargés d'huîtres, le "bourg du bas", adossé à la falaise, n'est pas dénué de charme. Au bout du port, quelques étals vendent en permanence des huîtres. Dans le "bourg du haut" (parking face à l'église), traditionnellement habité par les marchands et les paysans, il faut emprunter à droite de l'église le chemin qui mène à la pointe du Hock et au sentier des Douaniers. Jolie vue sur les falaises, le port en contrebas, les parcs à huîtres découverts à marée basse et l'île des Rimains.
Le plus beau vient à la fin (à 4 km au Nord par la D201) avec la pointe du Grouin qui s'enfonce profondément dans une mer verte face à un panorama embrassant Granville, la baie du Mont-Saint-Michel et, au large, les îles Chausey
Source : Newslettre - Magazine - 15/03/05
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