La chapelle de la Pointe du Van
Yannick, chaque matin d'hiver, sur le chemin de l'école, passait prés de la chapelle de la pointe du Van... Et chaque fois repensait aux recommandations de sa Grand'mère:
-Surtout ne t'en approche pas !... Ou tu subiras le sort des malheureux rejetés par la mer, que l'on détrousse dans la baie des Trépassés !.. Dont on ne sait même pas s'ils peuvent être enterrés en terre consacrée près de l'église de Plogoff, et dont les âmes perdues hantent les landes du cap à la recherche de la porte du ciel !
Que pouvait avoir de maléfique cette bâtisse immuable, semblant scruter l'horizon, attendant un mystérieux navire... Pensait-il.
Mais Yannick était très obéissant, surtout depuis que son père s'était perdu en mer, et que sa mère partait pour la semaine s'éreinter dans les sardineries de ces "messieurs de Douarnenez", pour lui offrir la chance d'aller à l'école... sous les quolibets de mes copains... se surprit-il à penser encore...
Etait-ce la vilaine chapelle qui tentait de l'attirer à elle ?..
Quels liens étranges pouvait-elle avoir tissé avec les naufragés des Trépassés ?..
Ainsi, chaque fois qu'il passait là, matin et soir surtout, quand la nuit étendant déjà son voile sur l'île de Sein, et les tourbillons du Raz, et qu'il n'était plus possible de distinguer autre chose que l'écumes des vagues déferlant sous l'éclat de la lune, à chaque fois il y repensait...
Fatalement il faudra que j'en aie le cœur soulagé !.. De nouveaux une pensée fulgurante venait de lui traverser l'esprit ! Il la balaya courageusement en défiant du regard le monstre!.. Tapie là... Devant lui... Comme un oiseau noir prêt à plonger de la falaise en déployant ses ailes, dans le néant de ce paysage sans horizon sur quelque proie mystérieuse...
Mais chaque matin, chaque soir il s'arrêtait plus longtemps, laissait plus longtemps son regard fouiller l'infini, Fatalement...
Et... Comme pour forcer sa volonté d'enfant, chaque fois, il lui semblait en savoir plus !
Maintenant il distinguait nettement le chant des Korrigans de celui des alouettes sur la lande de bruyères dans la brume du matin.
Maintenant il entendait les lamentations des âmes au milieu du fracas des lames venant se briser au pied des falaises.. Au pied de la chapelle, qui elle-même semblait se rapprocher chaque jour du vide...
Maintenant il allait savoir... il devait savoir !..
Et cette fois, sa volonté le poussait à la rencontre de la chapelle, déviait ses pas vers la falaise...
Ce soir je n'aurais pas de cauchemars... Il avançait maintenant plus vite, le cœur soudain léger, ses pieds même touchaient-ils encore le sol ?..
Est-ce mon père qui m'appelle ?!..
Il longeait maintenant le muret entourant la chapelle... Jamais il ne s'en était approché aussi près !...
De petites lucioles voletaient autour du clocher, entraient et sortaient sans cesse de la chapelle par là-haut...
Saisi par la féerie du lieu, hors du temps et de l'espace, il flottait lui aussi au-dessus de l'abîme !.. Enfin il savait !..
Non les âmes des naufragés ne se lamentaient plus, non les korrigans ne cherchaient pas à le perdre !...
Au contraire il pouvait parler, rire et chanter avec eux !...
Grâce à lui son père et les autres étaient enfin heureux, nul ne les entendrait plus pleurer sur les tourbières...
Et lui pourrait éternellement se jouer des vents et des tourbillons qui terrorisent les enfants autour de la chapelle de la pointe du Van.
Comme il aurait voulu consoler sa mère et sa grand'mère, leur dire qu'il était heureux, que la chapelle n'était pas méchante, qu'il avait libéré les prisonniers de la lande !...
Comme il aurait voulu !..
Mais l'auraient-elles cru ?..
Après qu'on leur ait apporté son corps, rejeté par la mer sur la grève des Trépassés ...
Marcel Jolly oct.2001
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- Jean-Pierre -
"Bénodet fait penser à la Côte d'Azur car voici son climat, ses figuiers, son ciel pur."
Apollinaire 1917